50 ans d’Ă©ducation
Article paru dans EPFL Magazine 26
Par Laureline Duvillard et Anne-Muriel Brouet

LâEPFL est une audacieuse quinqua qui nâa pas peur de se remettre en question et de jouer un rĂŽle de pionniĂšre. En vue de la JournĂ©e de lâĂ©ducation qui se tiendra le 17 mai, tour dâhorizon des dĂ©fis en matiĂšre de formation et des moyens pour y rĂ©pondre.
La vidéo accompagne les bouquins, les cours se suivent parfois à la maison et quelques clics sur un smartphone peuvent enclencher une expérience à distance.
Mais la craie, le tableau noir, les livres et les auditoires sont toujours lĂ . En 50 ans, lâenseignement Ă lâEPFL a changĂ© un peu sur la forme, beaucoup sur le fond, pas tellement sur la maniĂšre. Comment former au mieux les plus de 11â000 Ă©tudiants qui ont choisi notre campus, capter leur lâattention et les Ă©quiper de compĂ©tences pour affronter les problĂšmes dâavenir? Le point avec diffĂ©rents acteurs qui planchent sur ce casse-tĂȘte dĂ©fiant tout algorithme.
«Les dĂ©fis pour la formation Ă lâEPFL sont de deux types, logistique et pĂ©dagogique, souligne Pierre Vandergheynst, vice-prĂ©sident pour lâĂ©ducation. Du point de vue logistique, lâEcole attire toujours plus dâĂ©tudiants. On sâen rĂ©jouit, mais se pose la question de faire au mieux notre travail dâenseignant tout en continuant Ă accueillir dâexcellents Ă©lĂšves. Du point de vue pĂ©dagogique, notre enseignement doit reflĂ©ter le fait que les problĂšmes se complexifient et deviennent plus interdisciplinaires. Nos Ă©tudiants doivent faire preuve de crĂ©ativitĂ©, dâesprit dâinnovation et ĂȘtre capables de travailler avec des gens de divers profils.»
Interdisciplinarité et expérimentation
Pour rĂ©pondre Ă ces dĂ©fis, lâEPFL a synchronisĂ© les grands cours polytechniques et allĂ©gĂ© le curriculum de propĂ©deutique afin que les Ă©tudiants se concentrent sur les fondamentaux. Mais elle a aussi créé le fonds MAKE pour soutenir financiĂšrement des projets interdisciplinaires Ă©tudiants, tels EPFLoop, et elle a mis en place de nouvelles infrastructures via le Discovery Learning Program.
Un programme favorisant des travaux pratiques innovants et lâapprentissage par projets. Ceci en offrant aux enseignants et aux Ă©tudiants des laboratoires Ă©quipĂ©s de matĂ©riel de pointe (Discovery Learning Labs) qui facilitent lâinterdisciplinaritĂ©, un soutien professionnel et des espaces de prototypage pour la concrĂ©tisation des projets. «Notre but est de proposer une approche ouverte, permettre aux Ă©tudiants dâapprendre en expĂ©rimentant. Nous sommes lĂ pour faciliter la mise en Ćuvre des bonnes pratiques dâenseignement», note Pascal Vuilliomenet, responsable des DLL.
Ces bonnes pratiques, quelles sont-elles? A lâEPFL, câest essentiellement le Centre dâappui Ă lâenseignement (CAPE) et le centre LEARN, inaugurĂ© en automne dernier, qui se penchent sur cette question. Le premier via les Ă©valuations et le coaching des enseignants, le second en faisant de la recherche translationnelle en sciences de lâĂ©ducation. «Notre mission est de nous nourrir du rĂ©el pour la recherche et de nourrir le rĂ©el par la recherche», note Francesco Mondada, directeur acadĂ©mique du centre LEARN.
Des réformes outillées
Le centre LEARN a pour objectif de mettre Ă profit de tous les Ă©chelons du systĂšme Ă©ducatif suisse les connaissances acquises. A ce titre, il a formĂ© durant quatre journĂ©es 350 enseignantes vaudoises de 10 Ă©tablissements pilotes en vue de lâintroduction de la science informatique au cycle 1 (4-7 ans). «Les personnes sont arrivĂ©es Ă la formation plutĂŽt dubitatives, mais elles ont vu que nous proposions une approche dĂ©branchĂ©e de la science informatique, ce qui les a convaincues de lâimportance dâenseigner aux enfants les bases de la pensĂ©e computationnelle, relĂšve Jessica Dehler Zufferey, directrice opĂ©rationnelle du centre LEARN. Les jeunes baignent dans un monde numĂ©rique, mais pour en devenir un acteur, il faut le comprendre.»
CĂŽtĂ© EPFL, le centre LEARN vise surtout Ă accompagner lâinnovation pĂ©dagogique, en fournissant aux enseignants qui se lancent dans de nouveaux projets lâappui nĂ©cessaire pour dĂ©velopper une approche scientifique sur leur pratique. «Notre rĂŽle est dâencourager les enseignants Ă faire de la recherche sur leur maniĂšre dâenseigner, car ce nâest pas vraiment connu, ni cultivĂ© et encadrĂ©. Nous voulons aller vers des rĂ©formes plus outillĂ©es, en travaillant en partenariat avec lâenseignant porteur dâun projet novateur et le Centre dâappui Ă lâenseignement pour lâaspect pĂ©dagogique», explique Francesco Mondada.
Actuellement, le centre LEARN se penche sur les bĂ©nĂ©fices pour les Ă©tudiants du cours dâalgĂšbre linĂ©aire en classe inversĂ©e mis en place par Simone Deparis Ă la rentrĂ©e 2017. Ceci afin de voir si ce format est rĂ©ellement profitable aux Ă©tudiants et de le populariser le cas Ă©chĂ©ant. Car toute rĂ©forme nâest pas bonne Ă prendre, les innovations nâaboutissant pas toujours au rĂ©sultat escomptĂ©. «Depuis six ans, beaucoup de gens sâinterrogent sur les MOOCS en se demandant si câest une bonne maniĂšre dâenseigner Ă grande Ă©chelle, exemplifie Pierre Vandergheynst. On voit quâil y a un trĂšs fort taux dâĂ©chec dans ces cours, car les personnes ne les suivent pas jusquâĂ la fin. A lâEPFL, on les utilise donc plus comme une version moderne du livre. Cela montre quâon doit toujours sâinterroger sur diffĂ©rentes façons de faire pour discerner la meilleure pratique et ne pas avoir peur de rĂ©pondre que câest celle en vigueur.»
Encourager les compétences transversales
Se pose ensuite la question de lâenseignant, la meilleure des pratiques ne valant rien dĂ©nuĂ©e de pĂ©dagogie. «Un bon enseignant sâadapte Ă la classe et au type dâenseignement. Il remet en question son enseignement et nâarrĂȘte jamais de faire Ă©voluer son cours», estime NicolĂČ Ferrari, prĂ©sident de la Commission des Ă©tudiants reprĂ©sentants des sections et coordinateur de lâAGEPolytique. Cet Ă©lĂšve en deuxiĂšme annĂ©e de Bachelor en physique se rĂ©jouit du fait que depuis lâautomne 2018 la commission de nomination des nouveaux professeurs de lâEPFL intĂšgre un Ă©tudiant. Par contre, il souhaiterait que les Ă©valuations des enseignants prennent plus dâimportance. «On remarque quâun grand accent est mis sur la pĂ©dagogie en premiĂšre annĂ©e, aprĂšs cela a tendance Ă sâeffriter. Dâautre part, lorsque les Ă©valuations sont nĂ©gatives de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e, il faudrait mettre en place des actions concrĂštes. On voit dans certains cas que les personnes sont seulement dĂ©placĂ©es dans une autre section, et le problĂšme persiste.»
Le Centre dâappui Ă lâenseignement sâattelle justement Ă revoir les Ă©valuations des enseignants afin quâelles soient plus dĂ©taillĂ©es et leur permettent dâavoir un retour plus Ă©toffĂ© sur leur pratique. «Quâest-ce qui fait un bon prof? Aujourdâhui, lâEPFL ne propose pas de critĂšres, câest pourquoi sur la base de la littĂ©rature scientifique existante, nous sommes en train dâen Ă©tablir. Ceci dans le but de guider les enseignants vers les meilleures pratiques pour amĂ©liorer leur enseignement, comme lâĂ©change avec les pairs ou la recherche sur leurs pratiques tel que le promeut le centre LEARN», explique Roland Tormey, coordinateur du CAPE.
En parallĂšle, le centre planche sur la maniĂšre dont les enseignants peuvent Ă©valuer les Ă©lĂšves. «En partenariat avec les membres dâEurotech et lâUniversitĂ© de technologie de Tallinn, nous dĂ©veloppons des outils pour Ă©valuer les compĂ©tences transversales, relĂšve Roland Tormey. Car la crĂ©ativitĂ©, les compĂ©tences sociales, la capacitĂ© Ă se confronter Ă des problĂšmes ouverts en travaillant en Ă©quipe vont prendre toujours plus dâimportance pour nos Ă©tudiants. Et pour les encourager, il faut changer la maniĂšre dâĂ©valuer, mettre lâaccent sur le processus au lieu du rĂ©sultat.»
Faire éclater la barriÚre du temps
Reste lâĂ©pineux problĂšme du temps. Pour les enseignants, comme pour les Ă©tudiants, il nâest pas toujours Ă©vident de dĂ©gager une place pour faire fructifier ces compĂ©tences transversales et apprendre en mettant la main Ă la pĂąte. «âl faut un espace dans le curriculum oĂč les Ă©tudiants travaillent sur des sujets ouverts avec beaucoup de coaching. Cet espace doit ĂȘtre flexible, modulaire et apte Ă accueillir des projets de diffĂ©rentes formes. Pour cela, nous devons repenser les plans dâĂ©tudes de la fin du Bachelor», explique Pierre Vandergheynst.
Le vice-prĂ©sident pour lâĂ©ducation souhaiterait aller encore plus loin et «faire sauter lâĂ©chelle du temps passĂ© Ă lâuniversité». Soit crĂ©er les conditions cadres pour que les personnes ayant fait leurs Ă©tudes Ă lâEPFL puissent y revenir toute leur vie afin dâactualiser leurs connaissances. «LâuniversitĂ© doit apprendre les fondamentaux, car ces bases seront utiles aux Ă©tudiants toute leur vie, par contre, avec les nouvelles technologies, les spĂ©cificitĂ©s liĂ©es Ă un domaine sont trĂšs vite redĂ©finies. Câest pourquoi il faut un diplĂŽme amendable tout au long de la vie. A mon sens, câest le dĂ©fi qui attend le systĂšme de formation universitaire ces 20 prochaines annĂ©es dans le monde entier. Et nous pouvons jouer un rĂŽle de pionnier.»
Le lancement du Certificate of Open Studies (COS) marque dĂ©jĂ un premier pas dans ce sens. Ce nouveau type de diplĂŽme, dĂ©livrĂ© par lâEPFL pour la premiĂšre fois en 2018 et unique en Suisse, certifie des programmes de formation continue accessibles Ă des personnes sans titre universitaire. «Notre point fort est notre manque dâhistoire, de traditions. Nous avons un esprit novateur quâil faut veiller Ă conserver, nous nous remettons sans arrĂȘt en question, nous nâhĂ©sitons pas Ă nous lancer dans de nouvelles aventures. Nous sommes une jeune Ă©cole et nous avons un rĂŽle Ă jouer, car les solutions viennent toujours des jeunes», conclut Pierre Vandergheynst. A 50 ans, lâEPFL a aiguisĂ© sa rĂ©putation internationale, pris du poids, mais pas de mauvais pli. Son esprit conserve la fougue de la jeunesse, toujours prĂȘt Ă repousser les frontiĂšres de lâimpossible.